Dans L'Ombre Chaude De L'Islam by Isabelle Eberhardt

Dans L'Ombre Chaude De L'Islam by Isabelle Eberhardt

Auteur:Isabelle Eberhardt [Eberhardt, Isabelle]
La langue: fra
Format: epub
Tags: récits de voyage
Éditeur: Les Bourlapapey Bibliothèque numérique romande
Publié: 2013-03-24T19:00:53+00:00


JOIES NOIRES

Parfois des cris fusent des cantines du village : disputes ou chants de légionnaires en bordée.

… Ici, au « Village Nègre », les derniers bruits s’éteignent.

La pleine lune verse des flots de lumière bleue sur les maisons en toub grises, sur les rues vides et, tout près, sur la dune qui semble diaphane.

Par la porte d’un petit café maure encore entr’ouverte, une raie de lumière rouge glisse sur le sable, jusqu’au mur d’en face.

Des sons tumultueux – des sons de tam-tam et de chants – s’échappent de ce taudis blanchi à la chaux.

Nous entrons, le nègre Saadoun et moi.

… Il faut traverser la salle, grande comme une cellule, puis pénétrer dans la cour par un trou à peine praticable.

Au milieu des décombres, dans la clarté diffuse qui tombe d’en haut, un groupe de femmes s’agite. Deux vieilles, accroupies dans l’ombre, battent du tambourin et chantent, en leur idiome incompréhensible, une mélopée infiniment traînante, coupée d’une sorte de halètement sauvage, de râles rauques, saccadés.

Trois autres négresses dansent.

L’une d’elles est jeune et belle.

Son long corps souple se tord, ondoie et se renverse lentement, avec des frémissements factices, tandis que ses bras ronds, aux chairs dures, esquissent une étreinte passionnée.

Sa tête roule alors sur ses épaules et ses larges yeux roux se ferment à demi, tandis qu’un sourire langoureux entr’ouvre ses lèvres sur l’émail parfait de ses dents.

Des reflets argentés courent sur les cassures des plis raides de sa longue tunique de soie bleu de ciel qui flotte autour de ses épaules, comme de grandes ailes vaporeuses.

Les lourds bijoux d’argent sonnent en cadence.

Parfois, quand elle frappe les paumes de ses mains, ses bracelets s’entrechoquent avec un bruit de chaînes.

Deux autres femmes, fanées, avec des masques de momies, secouent des voiles rouge sang sur des corps pesants.

… En face, assis le long du mur, les hommes regardent cette danse des prostituées noires, qui comme un rite rapporté de la patrie soudanaise, revient tous les mois à la pleine lune.

Quatre ou cinq nègres, dont deux Soudanais de race pure, types de rare et décevante beauté nègre, aux traits fins, aux long yeux roux, tout arabes. Leurs joues sont ornées de longues entailles au fer rouge et un anneau d’argent traverse le lobe de leur oreille droite.

Immobiles, impassibles, l’œil fasciné par les danses, ils regardent, sans un mot.

Les autres, kharatine et métis, rient avec des attitudes et des grimaces simiesques.

Un seul blanc parmi eux, un spahi, fine figure d’Arabe des Hauts-Plateaux, l’amant de la belle négresse.

Accoudé sur son burnous rouge plié, il regarde, lui aussi, en silence.

Un pli dur fronce ses sourcils arqués et les abaisse sur l’éclat de ses yeux noirs où passent les reflets changeants de ses émotions.

Tantôt, quand se pâme la négresse qui le regarde et lui sourit de temps en temps, tout le corps musclé du spahi s’étire… Tantôt, quand elle semble prêter un peu d’attention aux rires et aux plaisanteries des nègres, les mains nerveuses du nomade, qu’aucun travail n’a jamais déformées, se crispent convulsivement.

Et il ne nous voit pas même entrer.



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